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Contexte et cadrageContexteLes références bibliographiques figurent sur une page spécifique du site. En Afrique comme ailleurs, la « war on drugs » lancée par le président Nixon en 1971 s’est révélée inefficace pour réduire le trafic et la consommation des drogues. Depuis la structuration de l’addictologie comme discipline scientifique et forme de soin, une approche plus efficiente et plus éthique vise à soigner les personnes usagères de drogues (PUD) plutôt que les incarcérer sans mesures d’accompagnement. Elle repose sur la Réduction des Risques (RDR) qui combine la prévention et le care dans une approche psycho-médico-sociale centrée sur la personne (Andréo et al., 2013; Leibovici, 2022; Stella et Coppel, 2021). Ce changement ne va pas sans tensions quel que soit le contexte, au vu des enjeux sociaux et sanitaires au niveau mondial (Jauffret-Roustide et Granier, 2017). Pourtant ces questions, bien qu’au premier plan notamment dans la lutte contre la pandémie de VIH, sont encore peu documentées en Afrique francophone (SWAPS, 2017). Les travaux, plus nombreux dans les pays africains anglophones, qui portent sur les aspects historiques, ethnographiques, sanitaires ou politiques concernant les drogues (Carrier et Klantschnig, 2012; Klantschnig, Carrier et Ambler, 2014; Rhodes, 2009; Rhodes et Reychad, 2016), ne sont pas directement généralisables aux autres pays. Le CEPIAD (Centre de Prise en charge Intégrée des Addictions de Dakar) a été inauguré en 2014 pour répondre aux besoins des PUDI (personnes usagères de drogues Injectables) au Sénégal. Projet pilote en matière de RDR en Afrique francophone, il est rapidement devenu un modèle pour la formation des professionnels de santé (au travers de diplômes en addictologie de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, UCAD) et pour l’ouverture d’autres sites dans les régions du Sénégal et dans les pays voisins, avec l’appui du Conseil National de Lutte contre le Sida et du Fonds Mondial de lutte contre le Sida, la Tuberculose et le Paludisme. En quelques années, la médicalisation des addictions et la RDR ont permis de rapprocher les PUDI des services de soins, de les sensibiliser aux risques infectieux et psychosociaux liés aux drogues, et, dans certaines limites, de contrôler les épidémies de VIH et d’hépatites virales dans cette population. En complément, un cours régional « Droits humains et politiques des drogues en Afrique » ouvert à tous les acteurs concernés (justice, répression, travail social, santé, communautaires), accessible en ligne, a été lancé par le Laboratoire d’Etudes et de Recherches Droits Humains, Droit des Affaires, Justice et Ethique (LER-DHDAJE) de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis. Des associations communautaires de RDR (Association Sénégalaise de Réduction des Risques) et de soutien aux PUD se sont constituées : Santé Espoir Vie (SEV), Association de lutte contre la toxicomanie, la TB, le VIH/Sida et la stigmatisation (ALT 2S), Sauver Ma Santé (SMS) et Femmes engagées. Le Centre régional de recherche et de formation à la prise en charge du VIH et des maladies associées de Fann (CRCF) a mobilisé son expertise en sciences sociales et santé publique sur les médicaments (accès, acceptabilité, impacts sociaux, traitements alternatifs et marché informel, aspects anthropologiques et éthiques) (Badji et Desclaux 2015; Desclaux et al 2004; Desclaux et Egrot 2015) et en matière de recherche avec les populations vulnérables (vulnérabilités infectieuses et vulnérabilités cumulées d’âge, de genre et de pratiques sociales) (Desclaux et a, 2011) pour lancer des recherches sur les addictions et les PUD au Sénégal. Une jeune équipe de chercheurs basée à Dakar a monté le Réseau Scientifique des Drogues en Afrique francophone (RESCIDAF) afin de rassembler et développer les connaissances et les chercheurs, et de proposer un cadre d’échange, de collaboration et de promotion de la recherche sur les drogues et les addictions dans la région. Les organisations de santé communautaire (ANCS, ENDA, Coalition Plus), avec les réseaux internationaux (AFRICANPUD, INSU, IDPC, RAFASUD) ont développé les initiatives notamment pour le plaidoyer et la mobilisation des pays de la sous-région en faveur de la réduction des risques (cf. notamment le projet PARECO). Le Sénégal est désormais en Afrique francophone un pays pionnier en matière de politique des drogues pour ce qui concerne la formation, la recherche et l’intervention ; mais il est aussi un pays de plus en plus exposé au trafic et à la consommation, au vu des saisies croissantes de stupéfiants (cocaïne, héroïne, cannabis) à ses points d’entrée et sur son territoire maritime et terrestre, ce qui l’expose à de nouveaux défis. Les réponses institutionnelles pour la prévention des addictions, le soin et la réhabilitation des PUD au Sénégal ont été développées en mobilisant la recherche sur la base de collaborations sénégalaises et internationales. La création du CEPIAD s’est appuyée sur les résultats de l’étude UDSEN menée avec le CRCF en 2011 (qui a montré l’ampleur de la consommation de drogues injectables et des prévalences du VIH et du VHC chez les PUD dans la région de Dakar), puis son développement s’est appuyé sur l’étude CODISEN (qui, en collaboration avec le Ministère de la santé et de l’action sociale et le CNLS, a montré la faisabilité, l’efficacité et les facteurs limitants de la prise en charge intégrée VIH, hépatites, TB, IST, santé mentale), deux études soutenues par des institutions internationales (ANRS, IRD). L’accompagnement du projet-pilote par la recherche en sciences sociales (menée par le CRCF avec le soutien de l’ANRS, l’IRD et Sidaction) a permis de documenter les avantages et les contraintes sociales du dispositif pour les PUD (Ndione, 2017), les inégalités et différences liées au genre (Faye, 2022) et les enjeux socio-sanitaires propres au cannabis (Diop, thèse de doctorat en cours). Le projet CODISOCS ANRS 12383 (Consommateurs de drogues injectables et dynamiques sociales au Sénégal) analyse depuis 2018 les effets sociaux et institutionnels de la RDR, l’insertion du CEPIAD dans le système de soins, les expériences des PUD et médiateurs dans et hors des soins alors que les associations de PUD se structurent, ainsi que les interprétations locales de la notion de RDR dans un paysage des drogues évolutif. Les résultats de ce projet, d’approche ethnographique et immersive au CEPIAD et auprès de consommateurs, montrent l’impact des tensions entre différentes logiques institutionnelles (par exemple entre justice et santé, l’interruption des soins pendant l’incarcération), des failles dans le dispositif de réponse (par exemple l’indisponibilité des traitements comme la naloxone pour les overdoses), l’augmentation des besoins pour la prise en charge des addictions à des médicaments (notamment des antalgiques et psychotropes détournés), la circulation croissante de l’ecstasy et de ses dérivés, ainsi que de mélanges à la composition indéterminée qui pourraient entrer dans la catégorie des nouvelles substances psychoactives (NPS)[1], l’importance des poly-consommations pour lesquelles les stratégies de RDR usuelles sont peu pertinentes. Dans l’écosystème institutionnel de la lutte contre les drogues, un rôle de plus en plus large en prévention et traitement pour l’ensemble des addictions est attendu du CEPIAD (NPS, alcool, tabac, cannabis inclus). Ces défis sont largement partagés avec d’autres pays de la sous-région. Les enjeux sociétaux liés aux drogues et la circulation transnationale des substances et des personnes imposent d’élargir dans la sous-région les collaborations interdisciplinaires pour la recherche, et entre recherche et intervention, comme celles existant au Sénégal. Le partenariat entre les institutions organisatrices de ce colloque, qui repose sur des collaborations depuis 2014, avec les réseaux régionaux qu’elles animent en formation (au travers du LER-DHDAJE et son Cours régional Droits humains et politiques des drogues) et en recherche (au travers du RESCIDAF) constituent une base solide pour lancer cette dynamique. Le colloque devrait permettre, au-delà de ses résultats scientifiques attendus, d’identifier les acteurs (personnes, groupes, institutions, réseaux) engagés dans des projets ou perspectives de recherche et d’encourager des collaborations durables sur les drogues en Afrique de l’ouest. Avec la participation d’institutions et de collectifs internationaux (institutions de santé globale, réseaux et associations de chercheurs et/ou communautaires), ces perspectives pourront, au-delà du colloque, s’inscrire dans des programmes scientifiques éclairant les politiques des drogues au niveau africain et au niveau global. Cadrage : Drogues, Afrique, sciences socialesLes drogues font l’objet de définitions diverses qui témoignent de la complexité du sujet. L'ONUDC utilise le terme substances psychotropes pour qualifier des substances soumises à un contrôle international en raison de leurs effets nocifs pour la santé et de leur potentiel d'abus, qui font l’objet d’une classification actualisée de manière périodique. L’OMS définit une drogue comme « toute substance autre que l’aliment qui peut influencer la manière dont fonctionne le corps ou l’esprit », ce qui inclut les médicaments, les produits chimiques utilisés dans l'agriculture, les solvants industriels et les substances utilisées à des fins récréatives. Cette dernière expression est utilisée communément car elle permet de distinguer ces produits des médicaments, mais elle n’inclut pas les consommations de substances qui résultent de la dépendance, ou leurs usages comme « outils de l'esprit » (selon les termes du chimiste Albert Hoffmann, découvreur du LSD), ou comme produits thérapeutiques validés ou potentiels pour la recherche en neurosciences. La notion de conduites addictives a été préférée à la désignation des substances, mais elle semble également trop restrictive car certaines drogues ne sont pas nocives, ou leur nocivité est liée à d’autres formes de toxicité que l’addiction. Ces définitions médicales et juridiques des drogues, dominantes dans le domaine scientifique, ne reflètent pas leur importance dans les multiples aspects de la vie sociale où se déploient les expériences des consommateurs, entre matérialité et signifiants culturels. Le colloque portera sur les substances utilisées comme psychotropes principalement à l’initiative des consommateurs, naturelles ou synthétiques, classées comme illicites ou non (en excluant les médicaments lorsqu’ils sont autorisés et prescrits). Il revient aux sciences sociales d’étudier les diverses définitions des drogues mobilisées par les acteurs sociaux, institutionnels et communautaires, leurs évolutions, les conditions d’application de ces définitions et leurs conséquences ainsi que les contradictions qui en résultent. L’Afrique n’est pas uniforme face aux drogues, qui s’inscrivent dans des espaces sociopolitiques, économiques et culturels traversés par des circuits d’échange des produits ; à ce titre, l’Afrique au Sud du Sahara se distingue de l’Afrique du Nord. Par ailleurs, les écarts en termes de production scientifique sur le sujet sont importants entre pays anglophones et francophones, ce qui nécessitait l’organisation d’un colloque en français. Ce colloque concerne en premier lieu l’Afrique de l’ouest, avec des extensions possibles à l’Afrique centrale, dans les limites des ressources existantes (travaux, experts scientifiques, moyens). Il est largement ouvert aux approches comparatives entre sites ou continents, et aux travaux qui mettent en regard les niveaux local, national, sous-régional (Afrique de l’ouest), régional (Afrique) et global. Le champ des sciences sociales concernées par les drogues est vaste. Pour comprendre les addictions, il faut à la fois prendre en compte des expériences vécues dans leur diversité associée à celle des substances, avec leurs contextes institutionnels et socioculturels, et mobiliser des théories et approches adaptées aux objets à des échelles micro à macro-sociales. Il faut aussi intégrer « une délibération transdisciplinaire » entre l’addictologie et diverses sciences sociales (Morel, 2021). Ce fait social massif et quasi universel appelle donc une mobilisation inter, pluri ou transdisciplinaire en sociologie, anthropologie, histoire, droit, géographie, sciences politiques, épidémiologie, économie, etc. Il est également important d'aborder ces questions en collaboration avec d'autres disciplines et spécialités dans le champ de la santé, telles que notamment la psychiatrie, la pharmacie, la toxicologie... Les scientifiques de toutes ces disciplines sont invités à participer à ce colloque, pour des échanges de connaissances et réflexions entre disciplines et en collaboration avec la santé publique, la santé communautaire et les savoirs expérienciels. [1] Le terme NPS désigne « de nouveaux stupéfiants ou psychotropes, sous forme pure ou en préparation, qui ne sont pas contrôlés par les conventions des Nations-Unies sur les drogues, mais qui peuvent constituer une menace pour la santé publique comparable à celles posées par les substances énumérées dans ces conventions » (MIDELCA, 2022). |
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